Luc 4.1-13
La tentation du doute
Pour vous, qu'est-ce qu'un homme ou
une femme de foi ? Qu'est-ce qu'un croyant mûr et accompli ?
Quelqu'un qui n'est jamais
secoué et qui ne connaît pas le doute ? Qui s'adresse à Dieu
sans jamais douter d'être exaucé - et qui ainsi reçoit la réponse
à ses prières ?
C'est
peut-être ce que nous rêvons d'être, au fond. Pourtant, ce type de
personnage ne se trouve
pas dans la Bible. Aussi
surprenant que cela puisse paraître, même Jésus ne correspond pas
à cette description - lui qui, sans jamais pécher, a pourtant été
profondément secoué
dans sa relation avec le Père - secoué par l'angoisse, la tentation
et même par une forme de doute.
Cela a commencé dès le début de sa
vie publique. Dès le début il a été tenté.
Luc raconte cet épisode au chapitre 4
de son Evangile.
Il
intervient
juste après le baptême de Jésus. Alors qu'il
sort de l'eau, Dieu parle : « tu es mon fils bien aîmé,
c'est en toi que je prends plaisir. ».
Lire la suite dans Luc 4.1-13
On
retrouve dans ce récit ce que tout chrétien rencontre à un moment
ou l'autre : une expérience forte avec Dieu -ici, le baptême -
suivie d'une période de « re descente », assortie
parfois de trouble, de remise en question - avec
la tentation de douter de ce qu'on reçu.
Oui,
ce baptême est une expérience forte pour Jésus. Par ce geste, il
manifeste son désir de servir Dieu, de lui obéir. C'est un moment
clé pour lui, qui donne son ordre de mission - Jésus est là pour
accomplir la volonté du Père - et introduit son ministère. A cette
occasion le Père, le Fils et le Saint-Esprit apparaissent ici
ensemble, en parfaite harmonie.
Jésus
est alors reconnu dans son identité de Fils, et de Fils aimé :
« tu es mon fils bien aimé, c'est en toi que j'ai pris
plaisir ». Parole confirmant l’annonce faite à
Marie : « l’enfant qui naitra de toi sera appelé Fils de
Dieu ».
Joie.
Paix. Lumière de Dieu sur lui.
La
place où se tient Jésus à ce moment-là, c'est précisément celle
dont il va nous ouvrir l'accès, à nous aussi, par son obéissance
- l'entrée dans la présence même de Dieu, sous son regard d'amour.
La communion avec le Dieu trinitaire. Comme Jésus, se savoir aimé,
se savoir Fils. Se tenir devant Dieu, prêt à accomplir sa volonté
- car c'est cela qui le réjouit.
Les
Psaumes essaient de dire cette proximité avec Dieu par toutes sortes
d'images : celle de l'enfant sevré dans les bras de sa mère ;
se tenir « à l'ombre du Très haut », sous ses ailes...
La Bible parle aussi du « trône de la grâce » - on est
dans la douce présence de Dieu, en paix dans son amour.
Pas d'ombre, pas
de nuage entre Dieu et nous.
Mais pour que nous
puissions goûter à cette communion, Jésus devait suivre jusqu'à
la croix ce chemin d’obéissance sur lequel il s'engage lors du
baptême. Il ne devait pas s'en détourner, afin de vaincre le
Tentateur, et avec lui toutes les puissances de mort à l'oeuvre dans
ce monde.
Le passage au désert inscrit d'abord la venue de Jésus dans l’histoire d’Israël : 40 jours, 40 ans, Dieu qui guide le peuple dans le désert, qui le nourrit, le peuple qui perd ses repères, qui perd la confiance en son Dieu, et s'égare.
Après la gloire du baptême, Jésus va aussi connaître dans le désert ce que rencontre tout homme - la solitude, la souffrance, le manque. Et avec cela, la tentation de douter de la présence bienveillante de Dieu. Prier « donne nous aujourd'hui notre pain de ce jour » quand on n'a plus rien à manger, c'est un autre défi pour la foi.
Avec cela, le désert est aussi un espace sans repères, un espace d’errance, où il est facile de se perdre, de ne plus savoir où aller ou vers qui se tourner.
La question ici est : Jésus va t'il réussir là où le peuple d'Israël a échoué ? L'épreuve du désert va-t-elle renforcer sa relation de confiance et d'amour avec Dieu son Père, ou bien va-t-il se perdre ?
Point
culminant de l'épreuve, après le jeûne, la rencontre avec le
diable, littéralement
« l'accusateur, le calomniateur ».
En harmonie avec toute la Bible, Luc le considère comme une réalité
spirituelle personnelle, objective (elle existe vraiment) et opposée
à Dieu. Travaillant notamment à détourner les hommes de
l’obéissance.
Derrière
l'idée d'accusation fausse contenue dans son nom, il est dit quelque
chose déjà de sa stratégie qu'on voit à l'oeuvre ici : il
souffle des mensonges afin de jeter la confusion.
Il
sème le doute, et avant tout le doute sur l'amour et la fiabilité
de Dieu.
Jésus
est alors tenté. Alors
même qu'il est « rempli de l'Esprit ».
C'est
un fait que nous oublions souvent je crois, ou peut-être nous
n'aimons pas nous en souvenir tant nous rêverions pour nous-mêmes
d'une vie sans combats, sans luttes.
Et
puis, se dit-on, comment
le Fils de Dieu pouvait-il douter de son Père, ou de Lui-même ?
Mais il semble pourtant que Jésus ait eu des périodes de profond
questionnement - à Gethsémané par exemple ; doit-on les
appeler « doutes » ? A voir.
Tentations
réelles en tout cas, le combat n'est pas qu'apparent. Jésus est
véritablement un homme, et la faiblesse humaine devant la tentation
est devenue son lot.
L'épître
aux Hébreux (4.15) l'affirme d'ailleurs ; Jésus «
a été soumis, sans péché, à des tentations en tous points
semblables » aux nôtres. C'est
bien ce qui se passe dans ce désert.
Il
y a trois tentations dans le récit de Luc, qui sont toutes dans
le fond tentation
de douter de l'amour de Dieu. De sa fiabilité. De sa parole.
Voilà à quoi s'emploie le Diable ici.
Savez-vous
comment on fait pour fendre une énorme bûche, très solide en
apparence? On place un coin, et on tape. Et le bois finit par
éclater.
C'est
comme cela que Satan agit : il place des coins dans nos
convictions.
Le
coin, ici, ce sont ces quelques mots en apparence tellement
spirituels : « si tu es le Fils de Dieu... ».
L'attaque
est subtile. Satan ne remet pas directement en question le dogme
« Jésus, fils de Dieu ». Il semble même confirmer cette
vérité en l'évoquant.
Mais
ces mots sont diaboliques car, l'air de rien, ils mettent en doute
l'affirmation de Dieu : « Tu es mon Fils bien aimé ;
c'est en toi que je prends plaisir » ! Le soupçon est
jeté sur cette déclaration d'amour. « Si tu es... ».
C'est
la vieille stratégie du serpent, ce « Dieu a t'il réellement
dit... » soufflé à Eve dès les débuts de l'humanité, et
qui conduit au premier péché. On la retrouve tout au long de
l'histoire. Dans le livre de l'Exode par exemple : Moïse
reçoit de Dieu une parole pour Pharaon: laisse partir mon
peuple (Ex.5.1-23). Aussitôt la parole reçue, la voilà mise en
doute par tout le monde : est-elle vraiment de Dieu ? Qui
est ce Dieu qui demande cela ? Mêmes les Israélites la
remettent en question, accusant Moïse : depuis que tu as dit
cela, nous avons encore plus de travail, on nous maltraite...
Moïse
a été alors pris dans la culpabilité - depuis que tu as dit cette
parole, tes frères souffrent encore davantage. On imagine ses
questions alors : est-ce que Dieu m'a vraiment dit cela ?
Est-ce qu'il veut le bien de son peuple ou son malheur, alors ?
Si ça venait de Dieu, le peuple ne souffrirait pas. Etc. Doute sur
les intentions de Dieu, sur son amour.
De
même ici : « si tu es fils de Dieu... ».
Le
doute est semé sur l'identité de Jésus, en utilisant d'abord le
levier de la faim : tu as faim ? Si tu es Fils de Dieu, dis
à cette pierre de devenir du pain. Sous-entendu : si tu étais
ce que tu crois être, si Dieu t'avait vraiment reconnu comme son
Fils, tu aurais bien droit à de petits avantages, non ? Tu ne
serais pas là à te torturer l'estomac inutilement, si Dieu voulait
vraiment ton bien, s'il t'aimait comme un fils ».
Sous-entendu :
es-tu sûr que Dieu t'aime vraiment pour te laisser ainsi
affamé ?
Même
paroles, pour la troisième tentation : alors Jésus a été conduit
par lui en haut du Temple, le Diable lui dit : « si tu
es Fils de Dieu, jette toi d'ici en bas. Car il est écrit :
il donnera des ordres à ton sujet afin qu'ils te gardent et ils
te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une
pierre »(4.9-12).
Etrange
tentation, n'est-ce pas ? Faire du pain quand on a faim,
gouverner le monde … on voit tout de suite l'intérêt, le
levier de la tentation. Mais ici, sauter dans le vide ?!
En
réalité il s'agit là aussi de saper la confiance en Dieu,
et cette fois en détournant Sa Parole. Satan utilise cette fois la
foi elle-même comme angle d'attaque. Voyez comme il se fait
pieux, il se déguise en ange de lumière, presque en théologien !
- ouvre la Bible, cite un psaume...
C'est
lui maintenant qui dit : « il est écrit... ! ».
« ils te porteront sur leurs mains... ». Promesse
de protection, sans ambiguïté.
La
tentation ici est donc de lutter contre le doute en cherchant
un appui non en Dieu, mais sur ce qu'on vit, ce qu'on
expérimente.
Le
piège est vraiment vicieux. Si Jésus saute, c'est comme s'il
disait : d'accord Dieu l'a dit, mais je ne le croirai que quand
je l'aurai vécu. La Parole de Dieu ne suffit plus.
Faire
ainsi dépendre la validité des promesses de Dieu de ce que nous
vivons est clairement un piège pour la foi. Pourtant,
n'est-ce pas un penchant que nous connaissons bien ?
Nous
avons si souvent besoin de voir pour croire ! D'expérimenter,
de ressentir.
Mais
les sentiments sont parfois trompeurs, les émotions sont passagères.
La foi qui repose sur cela ne tient pas longtemps. C'est l'image du
fou qui construit sur le sable.
De
plus, quand nous sommes ainsi sur un sol mouvant, nous sommes bien
plus réceptifs à la voix de l'adversaire, dont nous connaissons
tous le son.
Les
mêmes mots sont soufflés à nos oreilles devant les difficultés,
les épreuves : « si
tu es enfant de Dieu... si tu es aimé de Dieu, tu dois bien être
délivré de ces difficultés, non ? Si tu étais son enfant, tu
n'aurais pas cette maladie, non ? S'il t'aimait, Dieu le tout
puissant aurait déjà répondu à ta prière de guérison, puisqu'il
peut tout. Es-tu vraiment aimé de Dieu ? ».
Entendons
nous bien : il y a des doutes qui sont constructifs, quand nous
doutons de nous-mêmes, que nous remettons en question nos certitudes
pour aller plus loin. S'interroger est vital.
Mais
il y a aussi des idées qui, semées en nous, vont produire peu à
peu de mauvais fruits. L'ombre d'un soupçon, dont on connait la
force destructrice, comme dans ces histoires où un doute, soudain,
fait son chemin dans un couple, jusqu'à miner peu à peu la
confiance en l'autre. Et madame, ou monsieur, commence à s'imaginer
que l'autre le trompe, et bien sûr tous les signes concordent, et
cela peut les amener très loin... alors que souvent on va découvrir
qu'il n'en était rien.
Un
doute, un soupçon...
Coin
placé judicieusement pour faire éclater la confiance.
« Si
tu es le Fils de Dieu... »
C'est
comme une fausse note diffuse qui remet en question l'harmonie de
l'ensemble. On ne sait pas vraiment d'où elle vient mais cela suffit
à perturber.
Le
doute peut être jeté ainsi sur tant de paroles de Dieu : « tu
es une créature merveilleuse » ; « tu as du prix à
mes yeux » ; « je ne t'abandonnerai pas »,
« j'ai pour toi des projets de paix, non de malheur »...
et nous désespérons de nous-mêmes. Le désert nous semble alors
sans issue, et déserté par le Seigneur.
Oui,
toute foi connait des déserts dans lesquels l'adversaire a beau jeu
de nous souffler que Dieu nous a oubliés ou qu'il n'a pas dit
que... mais ces moments peuvent être aussi des occasions de
grandir si nous restons accrochés à Dieu. La foi qui reste alors
est celle qui repose sur la Parole et non sur le sentiment ou
l'expérience.
Oui,
n'en doutons pas (!), de tels déserts se présenteront sur notre
chemin de notre foi, avec la tentation de renoncer.
Nous
n'en sortirons certainement pas en refusant de regarder en face nos
doutes et nos interrogations.
Nous
n'en sortiront certainement pas en considérant cette tentation comme
anormale, en la dramatisant à l'excès. Redisons-le, la tentation
n'est pas encore le péché. L'hésitation n'est pas le renoncement.
Au
contraire, l'exemple de Jésus est
un encouragement à affronter nos doutes
et à dire nos confusions.
A les regarder paisiblement en face, sous le regard de Dieu, qui est
le seul gardien de notre foi.
Osons dire nos doutes, osons les accueillir et les amener à l'ombre
du Tout Puissant, pour qu'il nous éclaire. Aller avec tout ça
devant « le trône de la grâce ».
Que
notre Eglise puisse être aussi un lieu où l'on peut partager ses
combats, devant Dieu et devant nos frères et sœurs, sans être
jugés, afin que l'adversaire ne trouve pas là de prise pour nous
éloigner de Dieu, et qu'ensemble on puisse se soutenir au milieu des
épreuves.
Dans
ces moments de désert, enfin, il sera de la plus grande importance
de se souvenir que notre Maître a été tenté lui aussi, et qu'il
connaît nos doutes, sans nous rejeter pour autant.
Au
contraire, il nous encourage à aller de l'avant malgré tout.
Thomas doutait vraiment de la résurrection, mais c'est d'abord vers
lui que Jésus est venu, pour lui dire son amour.
C'est
cette grâce de Jésus qui est notre force. Il a vaincu pour nous le
doute et la tentation en obéissant à Dieu jusqu'à la mort. Il a
déjà vaincu l'adversaire.
Pourtant,
jusqu'au bout le tentateur est venu le harceler : Matthieu
27.40 : « si tu es le Fils de Dieu, descends de la
croix ». Jusqu'au bout, la tentation du doute.
Mais
il n'a pas cédé.
Il
est resté confiant dans la Parole du Père, qui avait promis de le
délivrer de cette épreuve, de le ramener à la vie et de le
conduire dans la gloire. Il avait confiance en celui qui avait
promis. Parce que Dieu l'avait dit, il allait le faire.
La
vraie foi repose sur cette confiance là. Il faut parfois bien des
épreuves pour qu'elle s'affermisse ainsi, par la grâce de Dieu.
Demeurons dans cette grâce,
revenons, sans cesse, à l'ombre du Très Haut, dans cet amour dont
Jésus nous a ouvert l'accès, sans limites, par son obéissance.
« Nous n'avons pas un
grand-prêtre incapable de souffrir avec nous de nos faiblesses, dit
l'épître aux hébreux.
Au contraire, notre grand-prêtre a été tenté en tout comme nous
le sommes, mais sans commettre de péché. Approchons-nous donc
avec confiance du trône de Dieu, où règne la grâce. Nous y
obtiendrons le pardon et nous y trouverons la grâce, pour être
secourus au bon moment » (Hé 4.15-16).
Amen.
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